
Ce discours est un acte d'accusation et de libération. Sont assignés quelques ténors de la civilisation blanche et de son idéologie mystifiante, l'Humanisme formel et froid. En pleine lumière
sont exposées d'horribles réalités: la barbarie du coloni sateur et le malheur du colonisé, le fait même de la colonisation qui n'est qu'une machine exploiteuse d'hommes et déshumani sante, une
machine à détruire des civilisations qui étaient belles. dignes et fraternelles. C'est la première fois qu'avec cette force est proclamée, face à l'Occident, la valeur des cultures nègres.
Mais la violence de la pureté du cri sont à la mesure d'une grande exigence, ce texte chaud, à chaque instant, témoigne du souci des hommes, d'une authentique universalité humaine. Il s'inscrit
dans la lignée de ces textes majeurs qui ne cessent de réveiller en chacun de nous la générosité de la lucidité révolu tionnaires.
« [...]Oui, nous constituons bien une communauté, mais une communauté d'un type bien particulier, reconnaissable à ceci qu'elle est, qu'elle a été, en tout cas qu'elle s'est constituée en
communauté: d'abord, une communauté d'oppression subie, une communauté d'exclusion imposée, une commu nauté de discrimination profonde. Bien entendu, et c'est à son honneur, en communauté aussi
de résistance continue, de lutte opiniâtre pour la liberté et d'indomptable espérance.
A vrai dire, c'est tout cela, qu'à nos yeux de jeunes étudiants (à l'époque Léopold Senghor. Léon Damas, moi-même, plus tard, Alioune Diop. et nos compagnons de Présence Africaine) ; c'est tout
cela que recouvrait et que recouvre aux yeux des survivants du groupe le mot tantôt décrié, tan tôt galvaudé, de toute manière un mot d'un emploi et d'un maniement difficiles: le mot
Négritude.
La Négritude, à mes yeux, n'est pas une philosophie.
La Négritude n'est pas une métaphysique.
La Négritude n'est pas une prétentieuse concep tion de l'univers.
C'est une manière de vivre 1'histoire dans l'his toire: l'histoire d'une communauté dont l'expé rience apparaît, à vrai dire, singulière avec ses déportations de populations, ses transferts
d'hommes d'un continent à l'autre, les souvenirs de croyances lointaines, ses débris de cultures assassinées.
Comment ne pas croire que tout cela qui a sa cohérence constitue un patrimoine?
En faut-il davantage pour fonder une identité?[...]
C'est-à-dire que la Négritude au premier degré peut se définir d'abord comme prise de conscience de la différence, comme mémoire, comme fidélité et comme solidarité.
Mais la Négritude n'est pas seulement passive.
Elle n'est pas de l'ordre du pâtir et du subir.
Ce n'est ni un pathétisme ni un dolorisme.
La Négritude résulte d'une attitude active et offensive de l'esprit.
Elle est sursaut, et sursaut de dignité.
Elle est refus, je veux dire refus de l'oppression.
Elle est combat, c'est-à-dire combat contre l'inégalité. Elle est aussi révolte. Mais alors, me direz-vous, révolte contre quoi? la Négritude a été révolte contre ce que j'appellerai le
réductionnisme européen.
Je veux parler de ce système de pensée ou plutôt de l'instinctive tendance d'une civilisation éminente et prestigieuse à abuser de son prestige même pour faire le vide autour d'elle en ramenant
abusivement la notion d'universel, chère à Léopold Sédar Senghor, à ses propres dimensions, autrement dit, à penser l'universel à partir de ses seuls postulats et à travers ses catégories
propres. On voit et on n'a que trop vu les conséquences que cela entraîne: couper 1 'homme de lui-même, cou per l'homme de ses racines, couper l'homme de l'univers, couper l'homme de l'humain,
et l'isoler, en définitive, dans un orgueil suicidaire sinon dans une forme rationnelle et scientifique de la barba rie. [...]».
Le Discours sur le colonialisme est suivi du Discours sur la Négritude, qu'Aimé Césaire a prononcé à l'Université Internationale de Floride (Miami), en 1987.

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